Le combat d’une vie
Pour les Blancs, elle est trop noire, pour les Noirs, elle est trop blanche.
Une artiste aux mille talents, une militante passionnée de la liberté et de l’égalité, une femme généreuse et une résistante hors du commun et courageuse. C’est un véritable symbole humaniste et antiraciste. Empreinte de non-conformisme et d'une "existence un peu bohème", menée tambour battant, nous ne ferons pas vraiment la biographie de Joséphine Baker tant les sites sont nombreux sur le net. Dans cet article nous retracerons, en quelques anecdotes, le couronnement d’une vie d’artiste, de résistante, de militante pour l’égalité des chances et contre les inégalités raciales.
Vedette de music-hall Joséphine Baker, de son vrai nom Freda Josephine McDonald, est née le 3 juin 1906 à Saint-Louis dans le Missouri, aux États-Unis, d’origine afro-américaine et amérindienne des Appalaches, elle commence sa carrière dans les années 1920 et devient une des icônes des Années folles. « Grâce à sa célébrité et sa richesse, elle a pu faire des choses à la pointe du mouvement pour les droits civiques, que peu de gens pouvaient faire sans risquer des violences physiques ou la répression étatique », analyse Matthew Guterl, professeur à l’université Brown et auteur d’une biographie sur la chanteuse.
Retour sur sa vie en sept anecdotes.
Qui était vraiment cette icône née aux Etats-Unis et adoptée par la France ?
1930 - De Picasso à Hemingway en passant par Christian Dior, Joséphine Baker inspire de nombreux artistes majeurs du XXe siècle. Elle participe à la reconnaissance du jazz et de la musique afro-américaine à Paris. Sortie en 1930, la chanson « J'ai deux amours » compte parmi ses plus grands succès. Joséphine s'impose comme la première star noire à l'échelle mondiale, de Buenos Aires à Vienne, d'Alexandrie à Londres. Dans le parfum de liberté des 30, elle continue de fasciner des artistes comme Cocteau, Le Corbusier ou Simenon.
1939 - Joséphine prend la nationalité française. Dès le début de la guerre, Joséphine Baker se montre une ardente patriote.
Elle devient agent du contre-espionnage à Paris pour la Résistance, milite au sein de la Croix-Rouge française, s’engage dans l’armée de l’air… La haute société de Paris l’accueille à bras ouverts et elle recevra, quelques années plus tard, la Légion d’honneur de la part du Général de Gaulle après la Seconde Guerre mondiale.
1948 - Victime de discrimination à New York. Dans cette Amérique d’après-guerre, la ségrégation raciale est telle qu’il existe un guide de voyage, le Green Book, pour aider les Afro-Américains à se déplacer en toute quiétude. Joséphine Baker rentre aux États-Unis en 1948 - Pour un tour de chant qui vire au cauchemar. Ne serait-ce qu’à New York, on lui refuse plus d’une trentaine de réservations d’hôtels à cause de sa couleur de peau. Un des clubs les plus huppés de Miami Beach, le Copa City, propose une forte somme d’argent à Joséphine Baker pour une série de concerts. Refus net de l’artiste, qui s’oppose à chanter dans un lieu n’acceptant pas les spectateurs noirs. « Je ne peux pas travailler dans un endroit où mes semblables n’ont pas le droit d’entrer », assène-t-elle. « C’est aussi simple que ça ».
1950 - Installée dans le Château des Milandes, l’artiste se partage entre sa carrière et l’éducation de sa Tribu Arc en Ciel :
Femme engagée pour la liberté et contre le racisme, est aussi une mère attentionnée pour les 12 enfants venus du monde entier de nationalités et de religions différentes, qu’elle adoptera après-guerre avec son mari Jo Bouillon, en écho à sa lutte constante contre le racisme aux côtés de Martin Luther King. Tous ses enfants formaient la « Tribu Arc en Ciel », unis pour le pire comme pour le meilleur.
1951 - Elle soutient le Mouvement afro-américain des droits civiques, écrivant des articles et donnant des interventions pour dénoncer le racisme et la ségrégation aux Etats-Unis.
Alors en tournée aux ÉtatsUnis, Joséphine Baker fait arrêter un homme à Los Angeles qui refusait de “se tenir dans la même salle qu’une négresse”. Elle suit le fourgon de police jusqu’au commissariat en dénonçant ce comportement raciste, “non démocratique” et “non américain, un événement qui transformera Joséphine Baker en ennemie publique n°1 du régime ségrégationniste américain.
1961 - C’est le 19 août 1961 dans le jardin de son château des Milandes (Dordogne), que Joséphine Baker reçoit la Légion d'honneur en récompense de son engagement pour la France durant la Seconde Guerre mondiale.
1963 -Le pasteur Martin Luther King Jr. appelle les Américains Noirs et Blancs tous confondus à marcher dans Washington pour protester contre la ségrégation. Très engagée évidemment dans la lutte contre le racisme, elle soutient le mouvement des droits civiques naissant et sera l’une des seules femmes à prononcer un discours lors de la fameuse marche sur Washington de Martin Luther King en 1963 avant que celui-ci ne lance son célèbre « I have a dream ». Lors de ce discourt, elle profitera de rendre hommage aux activistes Rosa Parks et Daisy Bates.
1966 - Ses relations avec Cuba sont moins connues, pourtant c’est auprès de Fidel Castro en 1966 à La Havane lors de la conférence tricontinentale de solidarité des peuples du tiers-monde que nous la retrouvons. Soutenant une organisation visant à unir des groupes révolutionnaires qui partageaient tous la volonté de mettre fin à la colonisation dans toute l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine. La création de cette organisation, aussi appelée « Conférence de la Solidarité des Peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine », eut lieu du 3 au 15 janvier 1966 à La Havane, à Cuba. 82 pays du Tiers Monde y furent représentés.
Et si Joséphine Baker entrait au Panthéon ?
L'idée a été émise par l'écrivain Régis Debray dans une tribune du Monde en date du 16 décembre 2013, snobée par le président François Hollande ce n’est que quelques années plus tard que le président Emmanuel Macron opère un choix à la fois judicieux, stratégique et lourd de sens. À l’approche de l’élection présidentielle, l’action politique semble évidente… Un choix plus inattendu, note le Huffpost, s’interrogeant sur la dimension politique de cette “panthéonisation”. Le succès est au rendez-vous et cette demande est finalement entendue. Le président Emmanuel Macron annonce le 21 août 2021 que Joséphine Baker va devenir la première femme noire à reposer dans la nécropole laïque et seulement la sixième femme à y prendre place.
“Joséphine Baker entre au Panthéon parce que c’est une femme qui est née noire et américaine dans une société fermée d’assignation à résidence et qui est devenue tout au long de sa vie et jusqu’au bout de celle-ci, l’incarnation des valeurs des Lumières de la République française et de l’ouverture au monde que cela implique”, précise l’Élysée au JDD. “Dans une époque où on s’interroge sur les liens du sang, il est important de rappeler qu’il y a aussi les liens du cœur”, indique-t-on, en référence aux adoptions de Joséphine Baker.
Joséphine fut de tous les combats et utilise sa notoriété pour lutter contre le racisme, pour elle, il existait une seule race : la « race humaine ».
Tous les hommes n’ont pas la même couleur, le même langage, ni les mêmes mœurs, mais ils ont le même cœur, le même sang, le même besoin d’amour. ©National Archives USA-NY Times Paris